Pierre Miserez se met à nu et excelle dans le jeu double
L’EXPRESS – LE MAG
Mercredi 10 décembre 2014
LA CRITIQUE DE… “EXCUSEZ-MOI”
De retour sur les planches neuchâteloises, la semaine dernière au théâtre du Pommier, l’humoriste jurassien Pierre Miserez demande de l’indulgence. Il aurait pu intituler son spectacle “Miserere”, autrement dit “Ayez pitié”, mais l’antiphrase est préférable au jeu de mots. Quand il demande qu’on l’excuse, c’est sur le mode helvétique, à savoir que l’offensé fait savoir son bon droit. Car le contre-pied est le principe même de son art. Dès avant que le public ne s’installe, il l’interpelle, et jusqu’au salut final, il s’acharne à implorer qu’on lui pardonne d’être un clown.
Enfant naturel de Bernard Haller et de Dimitri, et d’une certaine manière père des faux jumeaux Cuche et Barbezat (ce dernier participe d’ailleurs à la mise en scène), Miserez est un maillon fort sur la chaîne générique des comiques suisses. Dans son one-man-show, il se déchaîne, c’est-à-dire qu’il va encore plus loin que les autres, en faisant feu de tout bois et en se montrant, si l’on peut dire, sous toute ses coutures. Il joue de trois instruments, il jongle, improvise, fait des acrobaties, assure deux défilés, fanfare et mannequins, et un streaptease, chante en trente-six langues dont le mandarin, mime une dizaine de cantons, campe l’autruche et s’apprête à manger son chapeau.
Le bonhomme est plein de ces multiples vies qu’il incarne, et les blessures passées, qu’il attribue à son “personnage”, lui font voir la sienne sous un jour nouveau. Il se met à nu à travers des sketches parfois dérisoires et dans un équilibre assez précaire qui font beaucoup rire les grands enfants que nous sommes. Sa force, sur le registre trahi-comique, réside dans le double jeu. Par exemple, en coulisses, la séparation des amants, où il fait les deux vois: ce dialogue absurde est plein de réalisme. Ne serait-ce que pour cela, on l’excusera.
Didier Delacroix