Ça tranche avec le comique français
Tribune de Genève
mardi 24 novembre 1998
Humour romande a Paris
Le hasard du calendrier théâtral veut que la Suisse romande soit en ce moment représentée à Paris par trois spectacle comiques. Pierre Miserez, Marie-Thérèse Porchet et les acteurs de “Bergamote” jouent avec succès les artistes pendulaires, et il n’est pas rare, les jours de relâche, de croiser la mine réjouie de l’un d’eux dans le TGV. C’est en sifflotant de plaisir qu’il regagne la capitale française, avec l’assurance joyeuse de se produire devant des salles pleines. Venu en curieux, le public parisien découvre un humour dont il n’est pas forcément coutumier, un humour qui a la fraîcheur de l’inattendu et tranche avec la rigolade péremptoire de certains animateurs hexagonaux.
Genève et Lausanne ne sont certes pas le derniers endroits où l’on rit. Il n’empêche qu’on y pratique une forme d’ironie critique plus exportable qu’on le croit. Car on est loin ici de la bêtise sympa qui rebondit, sans entrave, d’une fréquence à l’autre, de la dérision méthodique qui prolifère chaque soir sur le plateaux de télévision. Tout cela finit par ressembler à une envahissante rumeur dans laquelle, inconsciemment, les meilleurs humoristes tombent à leur tour.
Le Suisses jouant actuellement sur le scènes parisiennes échappent, chacun à leur manière, à ce babil comique qui s’entende comme une nouvelle langue de bois. Leur manière est à la fois plus authentique et plus risquée. Elle nous rappelle que l’humour demeure, contre vents et marées, une catégorie de l’intelligence. Et surtout elle se souvient que naguère une grande actrice, Zouc, fit ses premiers pas à Paris en incarnant, à la lettre, la figure de la folie.
Cette fêlure se retrouve aujourd’hui dans les soliloques drôle et désespéré de Miserez. Cette profondeur s’entends dans le répliques grinçantes que s’échangent les couples en perditions de “Bergamote”. “Par la crainte qu’il inspire, le rire tient constamment en éveil”, notait le philosophe Bergson. C’est ainsi que Paris tremble de joie en faisant chaque soir la fête à l’humour helvétique.
Thierry Martenat