Pierre Miserez au Faux-Nez: Odieux, mais génial
24 heures
“J’suis venu, j’ai vu, et puis… j’lai dans le c…!” Cette conclusion d’un des sketches de Pierre Miserez, chacun des (nombreux) spectateurs présents hier soir aux Faux-Nez a pu finalement la reprendre à son compte. Parce que le personnage que crée sur scène ce Chaux-de-Fonnier, le dénommé Beuchat, c’est peut-être bien une partie de nous qui s’exprime ouvertement; cette mauvaise conscience qui, à des degrés différents, éprouve les mêmes remords, connaît les mêmes vices, vit des mêmes réflexions odieuses. Car le personnage Beuchat est odieux. Mais si vrai, si présent, dans ce monde où la règle de l’anti-tout ce qui est différent vaut la plus féroce des polices fédérales de sécurité. Par peur, évidemment. Peur de soi, de comprendre et d’admettre – ce n’est pas toujours lié… – les vraies raisons qui nous font survivre. Seul problème avec ce genre de spectacle où notre “autre moi” ressort, éclatant de petitesse, c’est que ceux qui sont censés se remettre en question tout en riant, et qui sont aussi venus pour ça, sont souvent déjà convaincus de la justesse de la caricature.
Rassurez-vous, la conclusion citée… en tête de cet article est la seule grossièreté du spectacle de Pierre Miserez. N’empêche, les comportements de Beuchat pourraient passer pour autant de grossièretés… Mais c’est la force de Pierre Miserez de ne pas abuser des mots. Son propos et son style, à mon avis, ne sont pourtant pas loin d’un Bedos. Humour grinçant – psychologique: Zouc n’est pas loin parfois, mais sans l’aspect thérapie de groupe – humour corrosif. Et les silences de Miserez sont d’une richesse fabuleuse. Comme est sublime sa façon d’osciller constamment entre le concret, le palpable et l’abstrait.
Curieusement, même si ce spectacle est le même que celui présenté au même endroit voici 18 mois, il m’est apparu moins noir, moins triste. Difficile, il est vrai, de ressentir les mêmes émotions quand les sketches vous reviennent d’avance en mémoire. Le spectacle passe cependant avec la vitesse de l’éclair, le tout à (presque) gardé toute sa virulence. Chaplin et Tati – à qui l’habillement et la gestuelle de Miserez faisait penser – sont annihilés par l’originalité de ce comédien, décidément en dehors de toute ressemblance gênante – et ce n’est pas facile. Courez le voir, ce visage de rapace, courez l’entendre, cette voix aiguisée comme une lame de rasoir. Bonne fête – même si cela risque d’être la vôtre, effectivement…
Michel Caspery