Ondes négatives? Ondes positives? Le comique romand passe par la TV
HUMOUR / Le drame des humoristes, c’est que la télévision s’en mêle. Faut-il en rire? Bernard Haller fustige les “Tévécoms”, Philippe Cohen temporise. Miserez, lui, “se manifeste” à St-Gervais.
“Comment la Suisse a-t-elle pu produire autant d’humoristes au mètre carré?”. Nos voisins français n’en reviennent pas. Un pays si propre, si sérieux! Pierre Miserez hausse les épaules. Pour un Jurassien, dont l’art consiste à faire rire depuis 25 ans, “avec des hauts et des bas”, la réponse est claire. “Un Basque a plus de chance de réussir et surtout de tenir qu’un Guinol lancé par la télévision parisienne”.
L’artiste jurassien revient au Théâtre St-Gervais de Genève. Avec le musicien Alain Roche, il reprend “Miserez se manifeste”, mis en scène par ses compatriotes Cuche et Barbezat. Depuis sa création, il y a 3 ans au Grütli, le spectacle a fait l’objet de plus de deux cents représentations en tournée. Lorsqu’il parle de ses racines, Miserez maîtrise son sujet. Du Jura, il a conservé son accent et un goût prononcé pour la fondue. Cet ancien du mouvement séparatiste Bélier et de la Ligue marxiste révolutionnaire apprécie plus que tout le franc parlé de sa région. En cela, il est sans doute le petit frère de Zouc, ou le petit-fils de Grock. Pour Miserez, qui mène une carrière entre Genève, Zürich et Paris, revenir boire un verre au Café du Jura, au Locle, c’est rencontrer “des personnages pas possibles”. “Je me confronte avec l’absurde. Je peux ensuite retrouver les banques zürichoises, la campagne suisse-alemande, le café-théâtre parisien et voir tout cela avec un autre regard. Un artiste enraciné ne se perd pas. Il évite la sédentarisation, les supermarchés qui fleurissent dans les grandes villes.”
L’horreur du “tévécom”
Bourlinguez sera se perdre… Miserez cite Cendrars. Bernard Haller, quand à lui, e rappelle de Jouvet, lorsque ce dernier mettait tout le monde en garde, “Le talent, c’est durer”. Plus que jamais, le rire se révèle fragile. Il vire au kleenex jetable, menacé qu’il est par des effets médiatiques. Depuis des dizaines d’années les Guignols de la télé crèvent en effet l’écran. D’une émission comme la Classe sur FR3 sont sortis nombre de one-man-shows. L’humour bref, le sketch coup de poing, renouvellent-ils le genre? “Non, s’exclame Bernard Haller. Comme vous me le dites, poursuit-il, on devrait peut-être inventer un autre mot pour ces artistes-là. Pourquoi pas les “tévécoms”? Il existe une génération de comiques, pas tous heureusement, qui se plient au quota de cette étrange lucarne qui veut que le succès soit proportionnel à la vulgarité”.
Miserez s’est lui aussi frotté au petit écran. Il n’en a pas retiré le meilleur. “J’ai fait durant 6 mois la revue de presse dans Ça colle et c’est piquant sur la TSR. Durant 6 mois, j’ai eu l’impression d’aller timbrer chez Longines. Sur le plateau, tout le monde stresse sans trop savoir pourquoi. Je reste aujourd’hui un clown acteur de théâtre. L’artiste s’épanouit sur scène lorsqu’il a pris le temps de devenir artiste.”
“Le métier c’est la scène”
Pour Philippe Cohen, la télévision et la scène constituent deux métiers différents. Avec Confiture, la compagnie étale la culture, il vient de faire une saison record au Théâtre Pitoëff de Genève (19’000 spectateurs ce qui ne l’empêche pas d’apparaître dans “Le fond de la corbeille”. “Mon vrai métier, c’est la scène. Si je devais choisir, c’est elle que je garderai. La télévision reste une récréation. Elle impose des contraintes de temps et des techniques spécifiques. Mes apparitions à la télévision sont à double tranchant. Certains spectateurs viennent me voir au théâtre parce qu’ils me connaissaient. D’autres viennent parce qu’ils m’ont déjà vu”.
Les médias, il est vrai, se montrent friands de comiques. Mais le passage à la scène, c’est une autre paire de manches. Le métier difficile du clown, le jonglage, le mime, la musique et surtout les idées constituent souvent un barrage contre lequel ne manquent pas d’échouer tous les illusionnistes et autres faiseurs de grimaces. “Il est vrai qu’aujourd’hui une carrière demarre plus souvent qu’il y a vingt ans par un casting TV” concède Pierre Miserez. “Plus personne toutefois possède la clé de la réussite. Dans Miserez se manifeste, nous avons imaginé un centre culturel encerclé par la police. Je trouve salutaire de détruire physiquement un théâtre. La création amène toujours une part de destruction. Et vis versa. Dans ma vie c’est pareil. Cela fait plus de 20 ans que je fais ce métier. Eh bien, j’ai toujours la peur au ventre.”
Tribune de Genève / 26 mai 1997
Chantal Savioz