La grange: Pierre Miserez, “A suivre” à perdre haleine
Une performance. Physique, mentale, la tête et les jambes, le coeur et les tripes. A suivre Pierre Miserez, on avait peine à ménager son souffle…
“Nous allons maintenant analyser le comique Pierre Miserez, qui a tragiquement terminé sa vie dans le home du Pré-aux-Boeufs”. Dans cette séquence “Séminaire pour le rire”, Miserez, pontifiant en prof parodique, résume en phrase l’essence de son spectacle: l’auto-dérision, la malice, une tendresse rieuse faisant de l’oeil à l’absurde, à la solitude et à la mort.
La petite vieille qui siffle ses deux déci de rouge, qui dit bonsoir et y’a jamais personne qui lui répond. Le 4ème âge parqué dans un home, “et si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à partir, mille personnes y attendent pour mourir à votre place!”, traité comme une bande de demeurés par un animateur en train de prêtes les plombs. Devant cette profonde tristesse, une salle pliée en deux: ça c’est du Miserez tout craché.
Le vertige de l’incertitude
De la loge à la scène, du théâtre à la vie, il va et vient, ressassant ses angoisses et ses incertitudes dans une vertigineuse psychanalyse. “Ma vie c’est toujours sur un fil, mais ça tient tant que j’ai des points d’appui”. Cette séquence – il faut la voir, elle est inénarrable – révèle du même coup le physique d’athlète de Miserez. Jongleur, accordéoniste, guitariste, chanteur, clown, acrobate et philosophe, il accomplit en une heure et demi un exploit sportif et poétique totalement souffrant.
Et puis, il joue sur la corde de l’absurde, il ne va jamais jusqu’au point de rupture: catharsis avec des sketches d’un burlesque à se rouler par terre. Tenez, cette chronique météo tout droit sortie du bistrot du coin, criante de vérité! Ou bien, ce retrait de permis de conduire, d’un authentique tout aussi flagrant, avec un Miserez un peu brumeux s’efforçant de corriger l’agent verbalisateur: ” Ivresse. deux s, SS! hélé. Je plaisante là, je suis un peu bourré…”
Après une telle équipée, il y avait de quoi être fatigué. Fatigant, ce monde, fatigant, ce public qui exige des rappels, fatigant de faire rire. Dieu est fatigué, son représentant est fatigué, les milliardaires sont fatigués, “le XXIème siècle sera le siècle de la fatigue ou ne sera pas.” Et quand on est fatigué, qu’est-ce qu’on fait? On va se coucher. “Allez! A suivre!”
L’impérial | CID
12 décembre 1997