Les humoristes romands affolent Paris
COMIQUE / Pierre Miserez, Marie-Thérèse Porchet et Bergamote font un tabac dans la capitale. Reportage sur les traces de l’artiste chaux-de-fonnier dans le Marais.
Un tour de scène comme une dernière pirouette, Pierre Miserez danse sous les loupiotes et sur un air d’accordéon russe. Dans cet ultime saut de l’artiste devant son public se lit l’éclatant bonheur d’être sur scène. Celui du bouffon lorsqu’il a trouvé son ressort. Celui du grand fragile lorsqu’il renoue avec le succès. “Enfin!”, semble se dire le comique chaux-de-fonnier. “Déjà!”, paraissent rétorquer les spectateurs, applaudissant à tout rompre. Miserez manie la fausse sortie à la perfection. Il lance un dernier sketch inspiré du mal-être d’un jongleur triste, achevant cette fois définitivement un spectacle au titre prometteur: A suivre…
Sur le trottoir glacé de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, en plein coeur du quartier du Marais, on cueille les premiers commentaires. “Pas mal, non?”, “C’est un Suisse!”, “Le suivant c’est qui?” Les parisiens piétinent de froid, mais poursuivent volontiers la discussion sur le seuil de ce singulier petit théâtre, dont on devine la couleur rouge sous les innombrables affichent placardées. Le Point Virgule, installé dans une ancienne menuiserie depuis 20 ans, ne paie pas de mine. En 20 ans, et malgré ses dimensions lilliputiennes, il est pourtant devenu l’une des sept scènes parisiennes qui comptent dans le lancement des comiques. Le flair de la directrice des lieux y est pour beaucoup. “Jean-Marie Bigard a débuté ici. Pierre Palmade aussi”, explique Marie-Caroline Burnat. “Il n’y a rien qui puisse me faire plus plaisir que voir le nom de certains inscrits à l’Olympia”.
Energie et générosité
Chez Pierre Miserez, elle a immédiatement flairé le graine du comique. “C’est un vrai clown. Il en possède la technique, la formidable énergie et la générosité. C’est un spectacle que je défends et que je coproduis.” Reste à savoir si le nom de Miserez s’affichera à son tour sur le fronton de l’Olympia… La directrice lève les yeux au ciel. “Je fais un métier auquel je ne comprends rien. Je sais une chose: il ne faut jamais se presser. La promo autour de Miserez n’a pas encore vraiment démarré. Mais ça commence à marcher très bien pour lui à Paris.”
Miserez préfère conserver la tête froide, plutôt que se balader le nez dans les étoiles. En quittant le Point Virgule, il salue énergiquement quelques spectateurs et répond aux blagues. “Sympas ces Parisiens!”, s’exclame-t-il, les yeux brillants. Ça marche! Et pourtant Miserez redoute plus que tout les rêves inutiles. “Pour le moment, je me produis tous les lundis et mardis au Point Virgule. En fin de semaine, je suis à Zürich et entre deux à Genève, où j’enseigne.”
Technique de clown
A 47 ans et pas mal de déboires, Miserez a appris à avancer comme un Sioux. Son spectacle, il l’a conçu en observant les petites gens, les animateurs de homes pour personnes âgées, les flics qui vous arrêtent pour conduite en état d’ébriété. Avec l’aide de Renaud Rutten et de ses “frangines” genevoises, Fabienne Guelpa et Anne-Marie Yerli, il a inventé des sketches exigeant une parfaite technique de clown, d’où filtre une vraie expérience de la vie. “Le plus drôle, c’est qu’on semble me découvrir alors que j’ai vingt ans de scène derrière moi. C’est formidable Paris. Je n’y ai aucune image. Les gens viennent me voir sans préjugés.”
Installé du dimanche au mercredi matin dans une chambre, juste au-dessus du Point-Virgule, Miserez avoue aimer la capitale qu’il parcourt en infatigable homme des bois. “Il y a quinze ans, je m’étais produit à la Vieille Gris, dans le 5ème arrondissement. Là, comme on dit, j’ai galéré. Aujourd’hui, il y a bien sûr l’expérience. L’important pour moi, ce n’est pas forcément de passer chez Michel Drucker. Dans une année, soit j’aurai tout arrêté, soit je continuerai ici ou pour une autre scène parisienne… Peu importe! Mon rêve le plus fou reste le même: pouvoir faire un jour la tournée du cirque Knie!”
Tribune de Genève | Chantal Savioz
Mardi 24 novembre 1998