Mon Dieu, que c’est drôle!

Le Matin dimanche / Culture
Isabelle Bratschi

Spectacle Avec «Yahvé, Dieu et tout le tral’Allah», les humoristes se moquent des Ecritures et s’en donnent à coeur joie. A découvrir à Fribourg.

A l’enseigne des Trois Moutons, les fidèles sont amenés à déguster un irak d’agneau, une charia de fromage et une bombe glacée en guise de dessert. Le ton est donné. Il est drôle, léger, farci de jeux de mots, de situations cocasses, de décalages entre les Ecritures et notre temps.

Avec «Yahvé, Dieu et tout le tral’Allah», la cohorte d’humoristes issus de «L’agence», des «Dicodeurs», de FriBug, de Vigousse et on en oublie, se réunit pour le meilleur, et sûrement pas le pire. Au départ de cette diabolique aventure, un juif et deux athées. Des soirées bien arrosées à refaire le monde après le énième verre de l’amitié. «Suite à de longues discussions sur l’état de notre planète et de la spiritualité, l’idée de créer un spectacle sur les trois religions monothéistes dans ce qu’elles ont d’absurde et de ridicule, s’est imposée», explique Jean-Luc Nordmann, producteur de la troupe FriBug. A ses côtés, pour l’écriture du scénario, les deux ténors de la satire, Thierry Meury et Laurent Flutsch. Ceux qui, dans des sketches mécréants, jouaient le Grand Démoniaque et Saint-Laurent à «L’agence», se sont plongés dans les textes fondateurs pour en tirer toute la substantifique moelle et nourrir le propos. «On ne peut pas s’attaquer à la religion, comme on écrit une revue traditionnelle, souligne Thierry Meury. Il faut du sérieux avant de rigoler.»

Il faut surtout trouver le juste milieu pour allier humour et religion. Ne pas dépasser certaines limites tout en se donnant la liberté de rire de tout. Joli défi. «On ne cherche pas la provocation. Bien au contraire. On s’en tient aux Ecritures», reprend Thierry Meury. «C’est au fond un spectacle très tolérant. L’objectif n’est pas d’attaquer les gens qui exercent une religion, mais les principes de base», renchérit Jean-Luc Nordmann. «En gros, la première idée du spectacle c’est que la superstition naît de l’incompréhension et de la peur. Et qu’une superstition qui a du succès donne le clergé et une religion. Evidemment en rendant tout cela drôle», prévient Laurent Flutsch. Et d’étayer ses propos, car ce sujet lui tient à coeur depuis longtemps: «Tout le monde a des souvenirs d’école du dimanche, du catéchisme, mais généralement, sur le plan historique, ils sont faux, ce sont des clichés. L’exemple typique est l’écriture des Evangiles où 80% des croyants s’imaginent que les apôtres ont connu Jésus.

Alors comment expliquer qu’ils ont été rédigés deux générations après la mort de Jésus? Tout cela, on le restitue, resitue et on s’amuse.» Avec eux, il suffit d’embarquer sur l’arche de Noé pour se rendre compte que l’histoire prend l’eau: «Vous pensez que quarante jours de pluie sont suffisants pour couvrir l’Himalaya, sourit Laurent Flutsch. Comment Noé a-t-il fait pour réunir des couples de poux ou de punaises? Et les poissons? Au-delà de cela, je rappelle que l’histoire de Noé est piquée d’une légende sumérienne plus ancienne qui raconte la même chose. Il y a tellement de contradictions que ça en devient comique.»

Ou encore de traverser la mer Rouge avec Moïse et nager en eau trouble: «On a découvert dans les écrits que Moïse était bègue, se réjouit Thierry Meury. Cela va donner lieu à un beau comique de situation. C’est un rôle idéal pour Pierre Miserez.» Celui-ci s’en défend: «Je suis le seul croyant de la troupe et je peux dire que dans le spectacle, rien n’est choquant.» Sauf pour Laurent Flutsch qui voit dans les tables de la loi des aberrations. «Moïse redescend du Mont Sinaï avec les tables de la loi sur lesquelles sont gravées «Tu ne tueras point». Il constate que les hommes ont construit le Veau d’or et Dieu lui dit: «Il faut les punir» et lui ordonne de tuer tous les hérétiques. En un jour, 3000 morts. Chiffre officiel de la Bible. En soit c’est assez rigolo.» Et d’ajouter: «Certains trouveront blasphématoire de représenter Moïse sur scène. Par rapport à Charlie Hebdo, l’argument est toujours le même. Trois jours après ce drame, des milliers de personnes descendaient dans la rue pour défendre la liberté de rire de tout.»

Le rire. C’est le mot, le fil conducteur du spectacle. Celui qui se construit à plusieurs. «C’est un travail de groupe, une collaboration, explique Jean-Luc Barbezat, qui signe la mise en scène. Travailler avec les auteurs, c’est confortable. Diriger des comédiens dont je connais la qualité et les capacités, est un vrai plaisir.» Le rire c’est encore la bonne parole du spectacle. Surtout quand on découvre Thierry Meury dans la peau d’un agent véreux qui prône les avantages d’une assurance unique Yahvé. «Elle couvre tout. Vous renoncez à toute autre couverture, sinon on vous tue.» Ou encore Nathalie Rudaz et Marc Donnet-Monay sous les traits de Sara et Samuel Cohen qui font la prière, remercient les dieux pour tout ce qui leur permet de se nourrir, chaise Ikea, table Interio, couteaux du dieu Victorinox, avant de manger froid. «Depuis longtemps je voulais créer un spectacle sur la religion, souligne Marc Donnet-Monay. Mais j’avais mis cette idée entre parenthèses après les attentats de Charlie Hebdo. Aujourd’hui, il faut continuer à rire sur ce genre de sujets, aussi sensibles soient-ils.»

Comme la place des femmes dans la religion. «Elles n’ont pas le beau rôle, explique Nathalie Rudaz. Elles sont toujours traitées en être inférieur. Dans un des sketches je suis une commis de cuisine idiote qui veut apprendre, avec le chef Hachir Parmentier, à faire la recette de la daube à la Yahvé, à la Dieu et à l’Allah. Et je ne comprends rien.» On l’aura compris, le spectacle est plein d’humour et jongle entre la gaudriole et la satire. «Si Dieu a créé le rire, conclut Laurent Flutsch, c’est pour l’utiliser.»